voyants
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l e s v o y a n t s
l'homme prend appui sur l'homme. ainsi le veut la
société, qui assure à chacun de nous ce peu de
certitude dont il a besoin pour vivre. mais que devient celui qui,
oublieux de ses semblables (pour les mieux aimer peut-être), en
sondant son âme, la découvre
irrémédiablement solitaire ? l'audacieux est bien vite
puni, car aussitôt se disloque le visage du monde :
les bords de la tamise s'ennuagent ;
les porches anciens d'albion
noircissent ; ils s'étirent en espaces immenses
et se défont
sur le vide dans la vague du désespoir...
ainsi s'impose à l'esprit épouvanté de
blake l'insistante présence de notre chaos.mais que sont les
ruines auprès de l'histoire qui, au milieu des pires
révolutions, ne cesse d'attester l'impérissable
permanence de l'homme ? périssable, rétorque rimbaud,
qui d'un mot la retranche et s'enretranche :
je n'en finirais pas de me revoir dans ce
passé.
mais toujours seul; sans famille.
serait-ce que nous sommes voués à la solitude et
que nous nous leurrions quand, à la faveur d'une joie,
même fugitive, nous croyions la rompre ? seraitce qu'il
appartient à notre état, comme sa qualité
propre, de ne pouvoir jamais être qu'à soi-même et
que, contraints de nous y réduire, nous ne puissions iamais
poursuivre en autrui que l'image tremblante d'un étranger
:
si de très loin, puisque nous sommes
séparés,
tu me connais encore...
ainsi s'interrogeant, hôlderlin découvre à
phomme la périlleuse perspective de sa condition :
un signe, tels nous sommes, et de sens nul,
morts à toute souffrance...
a l'absurdité de t'existence, l'homme répondra
par la révolte. imprécations et blasphèmes sont
la flore de feu qui peuple la saison en enfer. les bouquets
damnés que rimbaud ne cesse d'offrir à satan se
consument avec rage ; mais c'est au milieu de leur incandescence que
le poète aperçoit, miraculeuse et nette comme l'antique
salamandre, cette partie intacte à laquelle il aspirait de
tout son être :
apprécions sans vertige l'étendue de mon
innocence.
a ce point d'intensité, l'enfer et le ciel se confondent
et scellent au sein des foudres l'exact écho aux paroles de
l'adolescent :
voici, s'écrie zarathoustra, je suis un
visionnaire de la foudre, une lourde goutte qui tombe de la nue :
mais cette foudre s'appelle le surhumain.
au sortir de la révolte, l'homme devient vraiment «
voleur de feu » et, s'embrasant tel un météore,
parcourt majestueusement la nuit d'août de l'orient à
l'occident, puis, tel un astre nouveau, se fixe en gloire à
l'horizon. cest à lui, à ses rayons que s'accrochent
les prunelles clignotantes de notre humanité débile :
c'est lui qui fait que désormais on voit. a grands pans
décimée, la ténèbre résiste en
vain, mais nos pauvres yeux, incapables de soutenir longtemps leur
effort, se referment bientôt, pas assez vite cependant pour que
ne s'inscrive, au fond de nos rétines froides : «la juste
vision (qui) réjouit l'âme» (trakl), celle qui
affranchit l'homme de la solitude pour le restituer à
l'unité.
rené berger, mars-avril 1949
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